Comment pisser debout avec un clitoris?
"Ça y est, ça y est! On a trouvé le clitoris, on l’a découvert! Si, si j’vous assure, regardez, il est dessiné dans un manuel scolaire! Ça y est, on l’a retrouvé!". C’est certainement comme ça qu’Ali Akbar, le dernier crieur de journaux de Paris, a dû annoncer la grande nouvelle! Qui permettra peut-être à ma fille d’arrêter de dire que c’est bien plus confortable pour s’asseoir la zézette, puisqu’il n’y a "rien"! Tout en regrettant cette excroissance fort utile pour faire pipi debout, que son frère et tous ses petits camarades arborent fièrement, car, là, ce n'est pas "rien"!
Ah non!!! Non!!! J’ai dit la zézette, c’est une catastrophe!! C’est cucul la zézette, c’est girly, ça stigmatise, c’est interdit! Mais qu’est-ce que j’aurais pu dire, alors, pour ne genrer mon éducation? Le zézon? Le con, mais non c’est pas un gros mot ma chérie? Le sexe féminin? Le zizi à réaction arrière? Eh ben voilà, tout est de ma faute. De toute façon, avec moi, c’est toujours la même limonade, je m’auto-conditionne à faire et dire de la merde en permanence. Mais c’est pas vraiment de ma faute en fait!
Eh non, je subis de plein fouet la menace du stéréotype. Tout à fait. On m’a tellement laissé entendre que j’étais une gonzesse, que c’était pas grave de faire un bac littéraire qui déboucherait sur un métier précaire, puisque je trouverai un mari riche et mettrai ma carrière entre parenthèses pour élever ma tripotée d’enfants. Blonds. Comme moi, ah oui, je ne vous l’avais pas dit? Je suis blonde. Donc conne. Donc pas de regret. Mais, je suis douce et gentille et mon époux, qui tient le budget de la maison car il sait bien compter, est rudement fort et courageux, bien qu’il manque, parfois, de psychologie. Dommage seulement qu’il ne soit pas noir, il aurait pu être plus athlétique pour m’emmener danser le Kwasa Kwasa en chantant comme un dieu…
Tout comme le schéma familial dans lequel on a évolué, les stéréotypes extérieurs les plus répandus nous collent à la peau. Et, pour peu que chez toi, on ait plutôt été branché "Les feux de l’amour", "Ma sorcière bien aimée" et "Martine petit rat de l’opéra", il y a peu de chances que tu deviennes couvreuse ou pompière en étant une fille (tu notes au passage que les mots n’existent même pas…) ou aide ménagère ou diététicien en étant un mec.
Toi, bien sûr, du haut de ta génération Y, c’est très très différent. Tu te dis que dans ton univers moderne de blanc CSP + tendance mangeur de céréales sans sucres, sans OGM et sans gluten, qui descend de grandes pintes de bière pleines de sucres, d’OGM et de gluten, tu ne rentreras JAMAIS dans ces travers d’un autre temps. Non! Ta gamine aura une trottinette bleue, ton fils fera de l’éveil corporel et le poupon Corolle trans-genre commun à tes enfants s’appellera Juliette-Clément et ne s’habillera ni en rose, ni en bleu.
Mais, alors, pourquoi, quand ta fille se roule par terre, dit-on d'elle qu’elle est capricieuse et qu’on va bien galérer avec elle (comme avec sa mère, c’est génétique), pendant que quand ton fils le fait, « ben il se fait entendre le petit mec, qu’est-ce qui lui arrive à ce p’tit bonhomme, il fait jamais ça pourtant? » (oh ben si, si, je t’assure!).
Ma fille de six ans, par exemple, est, par le hasard du pas bol pour sa gueule, toujours entourée de 100% de braguettes, vu qu’elle n’a que des petites copines noires qui (menace du stéréotype?) se voient obligées de déménager en banlieue lointaine pour faute de pas de fric. Eh bien donc, ma gamine, quand elle se poile avec ses petits congénères à sexe long, se trouve affublée de tous les stéréotypes que tout le monde trimballe avec soi. A commencer par les miens. Moi, évidemment, je la vois plus tard comme la future belle intouchable, au milieu de tous les mecs. Ou comme la nana hyper successfull. Les autres mères la voient comme la bonne copine. Et les autres pères?… Ben, comme la future salope (pardon pour le père, qui doit être en train d’avaler ses amygdales en lisant ça!). Et les petits mecs? Ils la décrivent comme la seule fille tolérée, parce qu’elle est « comme un garçon ». Et elle, comment se voit-elle, du coup, parmi tout, ça, la pauvre vieille? Je ne saurais pas le dire. Elle s’en plaint, parfois, un peu, mais elle s’adapte. Voilà meuf, c’est bon, adapte toi, t’as tout compris. Elle est certainement capricieuse, hystérique, qu’elle doit avoir ses règles à six ans, mais elle s’adapte la petite. Elle fait comme les mecs. Mais, quand même, en moins bien apparemment, vu qu’une fois sur deux elle se fait jeter, ou botte en touche d’elle même.
Voilà comment le stéréotype s’insinue et commence à coloniser ta cervelle, pour finir par agir sur la répétition de tes comportements. Sur ta motivation. Sur ton investissement. Sur tes performances. Oui, parce qu’on a beau avoir retrouvé le clitoris; les enfants, les parents, les profs, les boulangères ou les grands-mères, continuent à s’ancrer sur leurs propres repères qui ont servi à la construction de leur sentiment d’appartenance. Et ta gamine, elle se faufile, ni vu, ni connu, dans ce qu’elle pense qu’on attend d’elle. Dès toute petite. Et malgré un T. shirt bleu et des gants de gardien de but (qu’elle a dû se rouler par terre pour avoir le droit d’essayer…).
Elle s’auto-colle un petit serre-tête en plafond de verre. Enfin, tu l’as bien aidée à l’ajuster, hein! Et c’est cette pression psychologique, relative à ton combo de stéréotypes maison, qui influe sur sa vision du monde, puis sur son comportement.
Alors, hormis à vivre dans un caisson de verre comme Michael Jackson, comment sortir de ces catégories? La solution, c’est évidemment l’affirmation de soi, l’individualisation. Nous, les Hélène, les Stéphanie, les Caroline, on n’est pas loin d’être déjà foutues. Trop de « Martine petite maman». Mais pour les Zoé, les Manon, les Louise, c’est encore rattrapable. Nos gamines, elles, n’ont plus qu’à nous faire des gros fucks, avant qu’il ne soit trop tard. Vivement que la mienne apprenne à lire (très vite et très bien, comme une fille, bien sûr!), elle pourra se servir de cet article comme nouveau pacte de rébellion à la maison. En effet, on va bien galérer avec elle!
NDLR: don't worry, pee happy, c'est possible désormais: https://www.pissedebout.fr ...