Je suis ceinture noire en engueulades
Cet article s’adresse à toute personne qui gère ses émotions comme Ayrton Senna sa bagnole. C’est à dire avec beaucoup de rapidité, de brio et de dextérité, mais également de possibles écarts de route bien merdiques.
Quand tu es experte ès engueulades, il peut même t’arriver de te dire « tiens, je me ferais bien un con moi aujourd’hui », juste pour le sport. C’est un peu comme quand tu annonces « tiens ce soir j’ai envie de picoler », histoire que le corps exulte. Il n’est d’ailleurs pas totalement exclu que ces envies (picole-baston) interviennent au même genre de moments, voire soient connectés par un lien de cause à effet.
Évidemment, quand tu es coutumière de l’engueulade pour l’engueulade, il te faut justifier ta pratique, qui saute souvent à la tronche d’autrui dans une parfaite incompréhension. Le veinard aux premières loges c’est souvent ton mec. A qui on n’a jamais parlé comme ça, au point qu’il se croirait dans un remake au croisement de « Casino » et des « Noces rebelles » (mais revu par David Cronenberg et David Lynch). Il faut bien argumenter alors, pour lui vendre que les couples qui s’engueulent c’est beaucoup mieux! Ils s’aiment plus! Et surtout, ils n’entassent pas trop de cortisol dans leur corps, en l’expurgeant par le cri, c’est excellent! Certes, mais peut-être faudrait-il envisager dès le chat Tinder de questionner son prochain sur ses compétences en engueulades. Ça éviterait à certaines de s’égosiller toute seule face à un plancton pragmatique et docile qui n’avait rien demandé. Quoique, il est tout de même assez prudent de s’en prendre à plus faible que soi, ça évite un retour de bâton qui nous emmènerait directement en réanimation.
Quand on est une personnalité réactive à l’engueulade, généralement ça ne date pas d’hier. Il faut donc utiliser son expérience de lancer de verre dans la gueule pour jauger la limite du too much. Il faut parvenir à rester sur une attitude « border du trop », flippante-kiffante, sans finir à se battre sur un parking ou à avoir un casier judiciaire. Sachant que personnellement, en plus d’être une méga relou je suis une pleutre, dès que je sens que ça se rafraîchit pour moi, je me mets à minauder et à balancer des confessions à tout va sur ma fragilité intérieure. C’est ce qui m’est arrivé quand j’ai tapé ma prof de sport avec la corde à noeuds, arrosé la meuf du CDI avec mon café chaud, ou traité ma voisine de train d’antisémite-obèse. Il va de soi que j’étais la réelle victime de ces situations vraiment trop injustes. Mais il faut tout de même une certaine intuition pour parvenir à sensibiliser, apitoyer, puis faire meilleurs copains une fois le tsunami passé. Il n’y a bien que ces connes d’hôtesses au sol des compagnies low cost qui arrivent à avoir raison de ma force de persuasion post énervement, quand j’essaie de négocier de quand même mettre ma valise en cabine.
Pour justifier son inadaptabilité sociale, on peut être amenée à réécrire pas mal l’histoire. Je vous invite à relire cette typologie des meufs relous pour voir que vous n’êtes pas seule. C’est d’autant plus vrai que notre inadaptabilité sociale, une fois de plus, n’est pas de notre faute, puisque de Kant, à Schopenhauer, en passant par Sartre, il a été communément admis que nous oscillions dans une logique d’attirance-répulsion avec nos congénères. On a besoin d’eux, mais vite fait, ils nous font chier. C’est ce que Schopenhauer appelle la métaphore du porc-épic: tu es attirée par une vie sociale type Spritz-barbecue, mais rapidement tu ressens plutôt un sentiment ligne 13 à 8h45. Au final, il faut trouver une distance moyenne rendant la vie en commun possible et ça s’appelle la politesse et les bonnes manières. Ce qui nous manque donc.
N’allez pas croire que la nana à profil engueulades +++ soit contente d’elle. Je vous donne peut-être l’impression depuis le début de cet article que tout cela est merveilleusement géré et assumé. Que nenni. Si seulement on pouvait se prendre un abonnement à l’année au gymnasium de l’engueulade, un lieu dédié et adapté pour une pratique contrôlée, ce serait fabuleux. Voilà une idée qui est bien bonne d’ailleurs! Faudrait peut être inventer ça? Un lieu de défouloir où on te mettrait un sacré con totalement incompatible en face. Du genre un con qui a son avis à donner sur Notre Dame. Un maître d’oeuvre-artisan-architecte-politologue-théologien-philanthrope sur réseaux sociaux. Ce serait chouette ça. Ou une vieille. D’autant que ça ferait de belles occupations aux retraités et ça permettrait de travailler les relations inter-générationnelles. Récemment, j’ai traité une vieille de 91 ans de connasse, après qu’elle m’a balancé un caddie dans les guiboles à titre gratuit. Eh bien je reste persuadée que ça lui a fait le plus grand bien, ça lui a rappelé sa jeunesse, comme moi quand on ose encore m’adresser un « eh mademoiselle tu suces? »* Mais une fois encore je me leurre, car hurler et casser des briques ne serait pas un exutoire mais un accélérateur de conduite agressive.
Personnellement, mon idéal serait d’être Carole Bouquet ou Anne-Sophie Lapix et de tout gérer avec un masque indéfectible sur le visage. Il va de soi que j’ai lu une batterie de pages Internet dédiées à « éviter ses colères ». Mais on voit bien que les meufs qui ont écrit ça ne sont pas confrontées au problème, puisqu’elles proposent du constructif, quand on en est encore au défensif. Respirer ventralement, jardiner, yogguer, marcher pieds nus dans l’herbe, Petit Bambouïser certes. Mais c’est déjà trop tard… Je n’ai pas le temps de respirer très fort moi, ça part aussi vite que quand Lagardère dégaine son épée! On est proche du phénomène de feu de charpente en bois, de saignement de nez, ou d’un oeuf cru qu’on aurait mis au micro ondes (je t’invite à tenter l’expérience). Et ça finit évidemment la morve au nez, la gueule toute rouge, la tension à 18 et les messes basses autour de ta sociopathie. « Verbaliser ma colère » je suis pour, je peux même te faire une thèse sur le pourquoi de ma colère. Mais ne pas la déclencher non. Il me faudrait un hijab à l’envers ou qu’on me colle une pomme d’amour dans la bouche pour que je la boucle.
Bon d’accord, je vois que vous insistez, je vais verbaliser ma colère. Tout le monde croit que cela vient d’un syndrome de toute puissance du nourrisson qui veut satisfaire tous ses désirs. C’est plus compliqué que ça. Ce sont nos idéaux bafoués et notre impuissance face à l’incompréhension des autres qui sont en jeux ici. Le sentiment d’injustice qui provoque la colère pourrait être exprimé légitimement, mais comme c’est géré par Thierry La Fronde, on finit juste par passer pour une conne. C’est notre colère pulsionnelle stockée depuis la petite enfance qui est secouée. Un peu comme des boîtes de Crème Mont blanc de notre jeunesse, que tu peux garder 15 ans dans un placard et quand tu l’ouvres ça splatche. Soit sur les autres, soit sur toi.
Car évidemment la colère ultime, celle qui mériterait un « Que sais-je? » de psychanalyse, c’est le conflit avec soi même. On ne s’en met jamais aussi bien plein la gueule que quand c’est avec soi, par soi et pour soi! Personnellement, j’ai, depuis mes fondations, des petites gargouilles personnelles, qui m’observent de haut avec un air méchant, et j’aime autant vous dire que je les subis. Je me subis!! Je vous ai apitoyé un peu là? C’est bon, vous me pardonnez? Vous m’aimez?? Dites-moi que vous m’aimez malgré tout !!
* mes chères amies féministes, tout ceci n’est que pure fiction. Quand on me traite de salope dans la rue, sachez qu’évidemment mon cerveau limbique réactif à l’engueulade s’anime vivement et adopte un comportement très adapté du type « non mais c’est pas possible, pauvre type, comment tu peux encore dire ça aujourd’hui?!? Tu sais pourquoi tu me traites de salope? Parce que “sale femme” ça n’existe pas, alors que “pauvre connard de machiste de merde” ça existe par exemple (avec force doigts d’honneur, de mon honneur!).»