Comment survivre face à la tyrannie du sport?
L’injonction sportive est, avec ce que tu ingurgites, l’un des pans les plus socialement répandus du "culte du bien-être ». Personnellement, en plus de me filer des hauts le cœur terribles, ça ne m’arrange pas du tout cette histoire d’entretien de tuyauterie. J’aimais bien moi, quand le body suivait sans demander son reste et qu’on pouvait totalement le laisser dans un coin de notre tête. Tête qui, pour le coup, s’en foutait pas mal et kiffait la vibe avec tout, sauf cette affaire d’activité corporelle à des fins non sexuelles.
Oui, mais voilà: être une Madame impliquerait également d’entretenir sa monture. Dans mon entourage, 200% de mes congénères féminines pratiquent. Sauf peut-être la meuf du 4ème qui fait des escarres sur son canapé en regardant télé-achat avec son sport élec sur les cuisses (ça compte pas paraît-il). Pour ne pas être rattrapées par leur corps, mes copines ont toutes choisi entre l'option "flemme et spiritualité" (= yogue et médite) ou "warrior killeuse immortelle" (=run tout son soûl).
Hormis les passionnées de barefoot qui ne vivent que pour ça (il en existe), les raisons de maintenir sa forme sont ultra moisies, puisque atrocement culpabilisantes. "Se maintenir en forme" déjà, rien que ça, te colle au bord du précipice dans lequel tu vas te vautrer si tu ne réagis pas. Tu dois donc le faire pour "t'entretenir" (sinon c'est la friche, la débandade), "déstresser" (sinon tension à 18, AVC à 40) et être belle et svelte (eh oui ma vieille, ça ne marche plus tout seul). Et si t'as pas trop envie, et bien il faut "te faire violence". Alors... comment dire? Me faire Violence?!? Vous trouvez pas ça terrible comme idée?!?
En réalité, vous pensiez peut-être que c'est par pure flemme que je ne fais pas de sport? Mais pas du tout! C'est un choix politique figurez-vous! Déjà, c'est terriblement misogyne. Qu'il s'agisse de la pratique - concours de justaucorps dès le CP, prof de tennis en Porsche et élèves en jupettes - ou de la (non)représentation publique du sport féminin. Ensuite, c'est ultra clivant. Je suis pas sûre qu'après avoir passé ta journée le cul assis derrière une caisse en plein courant d’air ou t'être levée à 5h du mat' pour aller récurer les chiottes d'autrui, tu aies la foi pour aller faire rouler tes fesses sur des ballons sauteurs de pilates. Enfin, mon affranchissement du sport est politique puisque, telle une Florent Pagny des Gymnases Léo Lagrange, j'ai envie qu'on me laisse ma liberté de penser. Si ça me dit, à moi, de me coller du saindoux à même les artères ou même d'aller mal, laissez m'en libre, fichtre! D'ailleurs, je tiens quand même à souligner que la meuf complètement accro aux gainages intempestifs ou au kick boxing, elle va peut-être pas beaucoup mieux que moi dans sa tête et elle a sûrement quelque vides affectifs à travailler! Et puis, vous m'excuserez, mais combien de chefs d'œuvres écrits ou peints au ginger tea après une séance de body balance?
Mais non, évidemment, je culpabilise à foison et je me vois contrainte de trouver des prétextes à ma non soumission à cette "passion dévorante et tellement bonne pour ce que j'ai". Oui, le sport. Mon ultime excuse étant évidemment la prudence, qui est mère de sûreté et le fait que c'est peut-être pas si bon que ça, vu qu'il existe quand même des cliniques du sport et des ligaments croisés.
Et puis, en vrai un peu aussi, et bien le midi, j'ai la flemme (je préfère aller bouffer, même si c’est avec JP de la compta), le soir, j’ai autre chose à foutre (même si c’est avec JP de Happn) et ne parlons pas des vacances (même si c’est sans JP, qui est avec sa femme).
Et puis, je l'avoue, c'est quand même une terrible source d'angoisse aussi. Faire tomber sa culotte direct dans la flaque noirâtre de la cabine de piscine et se retrouver en opération commando à poil sous son jean; se prendre un toucher-rectal après chaque footing par crainte d’une appendicite (ça s’appellerait un point de côté m’a-t-on dit APRES ledit toucher rectal…); ramasser un vol plané de ballon en pleine tronche alors que tu imaginais des trucs marrants dans les formes des nuages; imiter des choré en à peu-près en te défonçant le dos; faire des doigts sous l’eau à la meuf qui vient de te crawler dessus. Que de bons souvenirs! Que de beaux moments d’oubli de soi !
De toute façon, déjà dès le début, ça partait mal. Dès qu'il s'est agi d'"éduquer mon physique sportivement" avec Mademoiselle Jacqué, ça m'a saoulée. De chutes publiques de la poutre, en escalade de corde à nœuds, avec des mecs qui te pressent au cul et les autres qui s'en délectent, ça n'a jamais été une partie de plaisir. A l’époque, ça m’avait permis de développer un sens accru du pragmatisme et de ne m’entourer que de plus nuls que moi, dans des sports où l’accent était mis sur la grâce (un truc mou quoi) et non sur la force primitive. En gros, je faisais de l'expression corporelle avec des mecs un peu balourds autour (16/20 au bac).
La seule fois, ensuite, où j'en ai fait un peu régulièrement, c'était pour accompagner mon arrêt du tabac (et de l'alcool, et du manger et du sourire. Bref). J'avais programmé mes fonctions mentales en mode obsession du sport. Puis, j'ai cessé le jour où j'ai croisé mon ex. avec une sublime métisse à la piscine, alors que je sautillais dans l'eau en écrase loche rose fluo-bonnet assorti avec mes copines de 75 ans.
Mais bon, je me rends compte aussi (moment vérité, moment confidences) que je passe peut-être à côté de quelque chose... (ce passage est voué à ne pas me prendre des insultes par 200% de mon entourage...). En ce qui me concerne, pour que quelque chose m'intéresse, il faut qu'il soit un brin fendard. Donc, s'il s'agit de mettre de côté la compète, le challenge perso et l'affichage public pour investir un peu plus le ludique, le jeu et le plaisir, alors pourquoi pas. Allez, la prochaine fois je vous raconterai ma première leçon de pole dance!