Est-il toujours trop tard quand on dit “il faut qu’on parle”?
Pourquoi faut-il qu’on parle? Parce qu’a priori, on ne parle pas. Ne moquons pas cette vérité d’évidence, puisque de vérité il s’agit bien là et c’est déjà fort courageux.
Le “il faut qu’on parle” intervient souvent pour mettre fin à un cycle suffisamment long pour qu’on ait besoin de se l’annoncer par bristol (i.e. par sms, coup de fil ou annonce par le menu entre la poire et le fromage).
Sinon un bon “J’ai changé de numéro qui êtes-vous?” aurait suffi. Mais non, vous êtes valeureux, vous affrontez l’ennemi, pardon l’être cher, et c’est déjà très beau en soi. Beauté gratuite tout de même amoindrie par le fait que c’est celui qui dit “falloir qu’on parle” qui a généralement des réclamations ou des annonces à faire. Les réclamations c’est relou, c’est toujours des JE ne suis pas content(e), de ci, ni de ça et c’est sans parler de ce scandaleux cela, et JE voudrais que TU t’en rendes compte (traduction: pense comme moi, fasse ce que je veux). Mais dis-toi que ça aurait pu être pire, ça aurait pu être une annonce polie et néanmoins pliée que là “c’est bon, merci, tu peux dégager”. T’as vu? Je suis hyper bonne pour remonter le moral!
Le fait qu’on parle du fait qu’on ne parle plus est un assez mauvais présage. Avait-on vraiment besoin de parler d’ailleurs puisque les signes que ça sent le sapin fleurissent depuis belle lurette et tout le monde les a planqués sous le tapis. On devrait fournir un QCM “Il faut qu’on parle” à chaque couple qui a décidé d’affronter cette odeur de renfermé qui commençait à nous piquer le nez: Dernier baiser? Dernière baise? Thème des derniers sms? Gueule des emoji utilisés par sms? Temps passé dédié à l’autre? Evidemment, ça craint, il faut vraiment qu’on parle…
Il va de soi cependant qu’on risque fort de ne pas parler des aveux qu’on ne se fera évidemment jamais, sans quoi c’est définitivement mort. De vraies envies. De vraies déprimes. De vrais constats. Si? Vraiment? On y va? OK… On est joueur !
“Parler vraiment” c’est créer une palette qui doit mélanger les aspirations profondes, les évolutions de chacun, les schémas merdiques qui nous attachent, les trucs où on pourrait être bons et les secrets inavouables. Il est probable qu’en agitant tout ça, ça nous rende une couleur caca d’oie certes inédite, mais quand même dégueulasse. La tendance à céder à la promesse vaseuse du “je ferai des efforts” étant tenace, puisque facile, c’est un écueil à éviter.
Si notre “parler vraiment”, consiste à se balancer toutes les saloperies les plus basses et infâmes en s’engueulant, c’est bon signe. Un claquage de porte, un champ lexical digne de Kaaris et quelques menaces peuvent être utiles. Mais si le gars nous provoque encore l’envie d’avoir envie de quelque chose (fut-ce de lui faire un doigt) (d’honneur s’entend) eh bien c’est que quelque chose bouge encore. « On veut haïr et on veut aimer, mais on aime encore quand on hait, et on hait encore quand on aime » nous racontait ce bon vieux La Rochefoucauld, à qui on ne la faisait pas …
Si on préfère éviter de se faire Bertrand Cantater, on peut également suivre des cours de communication non-violente. J’ai fait ça récemment sur un excellent tuto en ligne, afin d’apprendre à moduler mes avis “c’est à chier”, “j’ai horreur de ça”, “j’en ai rien à branler”. Eh bien, figurez-vous que j’y ai découvert qu’on pouvait tout dire, tant qu’on le disait bien. Balancer la bombe avec la légèreté d’un petit rat de l’opéra qui ferait un entrechat suspendu à un ballon à hélium? Le rêve! Mais c’est des foutaises. Tu as beau (je récite mes cours) ne pas utiliser le “tu accusateur”, la négation et relativiser ton humble avis, dire à ton mec qu’il est devenu gros, moche et dégueulasse - au point que tu as l’impression d’embrasser une éponge gorgée de saletés - ne passera pas. Pas plus que de lui dire que tu préfèrerais encore te frotter au réverbère plein de pipi de chien plutôt qu’à lui.
Enfin, la dernière option est évidemment de faire un constat froid et triste que l’amour n’est plus. Ambiance chambre mortuaire. (L’absence de paroles ici respectant la dureté de l’épreuve).
On a parlé. Cool. Et maintenant on fait quoi???
Option on s’en sort: pourquoi ne pas proposer l’inénarrable thérapie de couple? Cette alternative est généralement brandie pour gagner un peu de temps. « Mon chéri tu échanges des selfies de bite avec la baby-sitter depuis deux ans, qui est d’ailleurs enceinte de toi et je vis ailleurs avec Boris le dentiste, mais tu fais semblant de ne pas le voir »… « Mais quand même, voyons s’il n’y a pas quelque chose à rattraper entre nous, non »?
Option tu sors: on passe la seconde et on s’apprête à payer un loyer tout seul. Ou à se faire repousser les envies, comme on dit en communication positive.
Option on s’abandonne à son sort: on arrête de parler et on repart à l’ancienne bien sûr, comme si de rien n’était. Ce ne sera ni la première, ni la dernière fois et c’est un mode de fonctionnement comme un autre, il suffit juste de racheter parfois un nouveau tapis pour camoufler.
Allez, vous me direz ce que vous avez choisi. Et comme ne le dirait pas ce bon vieux La Rochefoucauld, à qui on ne la faisait pas, l’espoir fair vivre! (Sacrée saloperie l’espoir quand même!)