Faut-il être pour ou contre Noël?
Autant vous avertir dès maintenant, il ne s’agit pas d’un article de Sens commun, donc pour ceux qui avaient déjà dégainé leurs petits-Jésus en lange pour les installer dans toutes les mairies de France, passez votre chemin.
Plusieurs options face à la trêve des confiseurs. Il y a ceux qui déclarent dans un grand éclat de rire que Noël est joie, amour et paix, devant une liste de courses bio où tout est déjà barré depuis fin novembre. Ceux pour qui Noël rime avec fatigue, dépense et stress et agonisent d’avance un Maalox et un Doliprane à la main. Et, enfin, ceux qui s’en foutent et passeront de toute façon 90% de la journée à mater leur iPhone pour envoyer des Icards à tout leur répertoire. Bref, Noël nous divise. Euh pardon, nous rassemble.
Mais, que l’on fasse Noël, Hanouka, des sapins ou des crèches, que l’on mange de la dinde, du boudin ou des accras, on le fait généralement entouré « de ceux qu’on aime », ou « de ceux qui nous aiment » ou « de ceux qui ont bien voulu nous inviter » ou « de ceux qu’on se farcit tous les ans, promis, l’année prochaine on part en voyage ».
La configuration festive du type obligatoire peut engendrer des phénomènes assez troublants, tout aussi variés que le sont les façons de festoyer. Mais en réalité, on peut dégager trois grandes tendances. La fiesta est de ton côté, la fiesta est du côté des autres ou y'a pas de fiesta.
Noël dans ta chambre d'enfant
Quand la fête s’organise dans ta famille, il va falloir que tu assumes de reprendre ta fonction historique dans le groupe. Généralement quand tu es une nana, tu endosses le rôle de celle qui est un peu soupe au lait, un peu « ben pourquoi tu t’énerves, c’est pas possible on peut rien dire ». Mais on dit quand même. Quand tu reproduis depuis 33 ans le même Noël que quand tu avais 5 ans, en essayant de retrouver le goût des pommes-pailles et l’odeur des Gitanes qu’on fumait à l’intérieur, ne va pas t’étonner que ça frotte un peu. Tu te retrouves à dormir dans ton lit trop court avec des photos de ta tronche de quand t’étais mieux, avec potentiellement tes enfants qui ne comprennent pas que cette moue boudeuse et ce ventre plat aient pu t’appartenir.
On a beau savoir que tout a changé, qu’on ne roule plus des pelles à sa télé quand passe un clip de A-Ha puisque 1) A-Ha est en maison de retraite, 2) on a compris maintenant que ça servait à rien de s’exciter sur des gays et 3) on écoute de la musique d’esthète désormais. Mais on n’a pas la même capacité de recul quand vient la dinde farcie indigeste, avec son lot de panique, de coups de fil d’angoisse préalables, de recherche de la perfection et de salamalecs qui l’accompagnent. Evidemment, à 5 ans, on s’en foutait pas mal de savoir que maman et tata mimi s’étaient pris la tête dix heures sur le choix du menu, la pingrerie de mémé et les « si c’est comme ça, l’année prochaine vous le ferez chez vous, puisque ça n’est jamais assez bien pour vous/Mais c’est pas du tout ce que j’ai dit putain! ». On essaie de reproduire un passé qu’on a complètement zappé - donc embelli - et en faisant ça, on remet de l’eau au moulin de la baston familiale qui se reproduit de génération en génération.
Deux issues possibles à cette configuration: la boucler ou tout gérer. La boucler, c’est à dire la boucler vraiment, est un excellent exercice de méditation in situ. Il implique de ne réagir ni à la question sur le boulot que tu as quitté il y a cinq ans, ni aux injonctions de réussite éducative que constituerait une bonne fessée, ni aux références à la crise de nerfs que tu as faite en 1992 quand ton frère t’avait piqué le dernier cookie et qui expliquerait depuis que tu aies toujours été « jalouse, jalouse, c’est pas possible! ». Ni aux invitations à rejoindre la Manif pour tous non plus, hein. Si tu y arrives, c’est incroyable, ou plutôt ce serait presque à croire que tu t’es glissé un vibro dans le pantalon et que chaque fois qu’il y a un abus, tu peux l’activer à distance pour te détendre.
L’autre issue, que nous recommandons pour plus de prudence, est celle de tout gérer soi-même. Faire tout chez soi, comme on veut, avec qui on veut. Mais là encore, gare à ne pas se transformer en tata mimi et à ne pas péter un plomb géant si le chapon n’a pas une allure de réussite internationale, que tout le monde n’aurait de toute façon pas assez salué dignement.
Noël chez les autres
Quand la fiesta est du côté des autres, ton mec, la belle-famille de ta soeur ou autre type d’incruste, l’enjeu est moins personnel. Tu peux plus facilement te mettre en mode conversation néant et laisser un peu de côté la traditionnelle provoc' que tu utilises chez toi, pour résumer des années de désaccords intrinsèques. Seulement, là encore, certaines d’entre nous, auxquelles nous ne jetterons pas la pierre, auront du mal à se mettre entre parenthèses. Il est vrai que s’il s’agit de ta belle-famille, il est quand même nécessaire d’imposer un tant soit peu ton style, aussi vite que possible. Dire des choses que tu penses vraiment peut avoir comme effet bénéfique soit d’abréger l’histoire avant de perdre dix ans, soit de faire Noël ailleurs à l’avenir. Soit d’être écoutée, remarque, puisqu’à eux ça ne fait pas 20 fois que tu leurs ressers le coup du « pour le moment j’ai un métier alimentaire dans la recherche-développement en neuro-sciences, mais j’envisage une reconversion dans la variété internationale. Ou la magie, j’hésite encore, je ne veux me fermer à rien ».
Quand tu fais Noël en dehors de tes habitudes historiques, ça peut aussi avoir l’effet bénéfique de te montrer que c’est peut-être pas si mal ailleurs. En plus, avec un peu de bol, il y aura des petits cousins mignons que tu pourras reluquer discrètement l’oeil véreux à travers ta huitième coupe de champ'. Et tu ne seras pas obligée de « faire la jeune fille de la maison » ou la "maîtresse de maison", qui s’enchaîne deux heures de lave-vaisselle pendant que tout le monde débriefe en se marrant dans son plumard.
Noël? Rien à foutre!
Enfin, l’option il n’y a pas de fiesta regroupe quant à elle des configurations très hétérogènes. Soit c’est un choix assumé parce que tu préfères faire ça le plus petitement possible, histoire d’éviter les déconvenues potentielles des fiestas à quinze. Et libre à toi, vendu comme ça, ça sonne bien. Gare, tout de même, à ne pas manger direct dans le plat devant "Le plus grand cabaret du monde"...
En fouillant un peu, l'absence de Noël peut aussi cacher une bonne névrose du type pingrerie ou phobie sociale, que l'on retrouve dans toutes les occasions de célébration obligatoire (anniversaire, nouveau boulot...), qui ne seront jamais fêtées avec quiconque.
Enfin, Noël seule peut également être subi parce que ton mec est parti avec les gamins, que tout le monde est mort ou que personne ne t’aime, auquel cas ça te permet de relativiser d’un coup d’un seul les reproches que tu pouvais faire aux situations précédentes.
En effet, vu comme ça, une petite engueulade de Noël sur fond de claquage de porte prendrait presque des allures romantiques. Surtout, imaginer un Noël de la loose, seul à Auxerre dans un studio éclairé au néon, par exemple, permettrait de remiser au placard d’un geste tes idéaux d’un Noël parfait. Et de composer avec le (mauvais) esprit de Noël. Après tout, outre le plaisir d’offrir et la joie de recevoir, que serait Noël sans tout ce qui dérape? En réalité, et à condition de ne pas être bégueule sur les stocks d’alcool, Noël c’est comme un dimanche en famille sauf qu’on a le droit de plus torcher, de mieux manger et de repartir avec des trucs qu’on voulait, ou au pire qu’on revendra sur e Bay pour se faire un peu de thune. Plutôt que d’attendre le Noël parfait, autant viser le Noël marrant. Puisque c’était ça que c’était dans notre enfance en réalité, un truc où on déconnait! Gare, tout de même, à ne pas trop forcer sur l’alcool et à ne pas confondre publiquement ton mec avec beau-papa ou belle-maman avec Michou.
Allez, la prochaine fois je vous parlerai de tous ces jours de l’an où je m’attendais à ce qu’on m’annonce des trucs de malades (non, pas des cancers et des sida).